Louis XVIII, ayant refusé la Constitution sénatoriale, s’était engagé, lors de la » déclaration de Saint-Ouen le 2 mai 1814, a promulguer une Charte. C’est chose faite le 4 juin suivant.
La » Charte constitutionnelle » se compose d’un assez long préambule et de 74 articles. Elle est certes une concession faite à la Révolution, dans la mesure où c’est une Constitution qui cache son nom, mais reste d’inspiration traditionaliste. Ainsi, elle est d’emblée mise sous le couvert de » la Divine Providence « , allusion implicite au droit divin, et au fait que l’Histoire n’est rien d’autre que la manifestation des desseins de Dieu. Et pour bien marquer la continuité royale, Louis XVIII la date de la 19ème année de son règne. C’est en effet dès 1795, à la mort du dauphin martyr, que le comte de Provence avait pris le nom de Louis XVIII.
Le préambule rappelle de plus que le roi ne tient sa légitimité que du fait d’être roi légitime, et non d’une quelconque souveraineté populaire. Ainsi, la Charte est » octroyée » librement par le roi, qui garde toute souveraineté.
Les trois premiers articles marquent le décès officiel de l’Ancien Régime (égalité civile, égalité devant l’impôt, et égalité devant l’emploi), et les principales » libertés » révolutionnaires sont certes reconnues, d’où l’optimisme des doctrinaires quant à une application libérale. Mais certains éléments majeurs dénotent l’inspiration traditionaliste. Il y a ainsi rupture avec le Concordat de 1801, qui faisait de la religion catholique la religion de » l’immense majorité des Français « , et un retour au catholicisme religion d’Etat.
Le roi conserve un pouvoir fort, dans la mesure où il est maître de l’exécutif : art.13 : » au roi seul appartient la puissance exécutive « . Le roi » nomme à tous les emplois « , est chef des armées, signe les traités, et lui seul peut déclarer la guerre. De plus, l’article 14 ajoute que le roi fait les règlements et promulgue les ordonnances nécessaires à l’application des lois et à la sûreté de l’Etat.
Enfin, le roi choisit ses ministres, lesquels contresignent ses actes et ne sont en rien responsables devant les chambres (il ne sont pas obligés d’avoir une majorité à l’assemblée).
Les deux chambres (une chambre haute, la chambre des pairs avec, en 1827, 384 pairs de France, et une chambre basse, la chambre des députés, censitaire) n’ont pas l’initiative des lois, qui revient au roi, et ont pour rôle de les voter. Rôle important, puisqu’elles votent notamment cette loi essentielle qu’est le budget.
Ainsi, il y a évidemment nombre de concessions faites, mais le pouvoir royal peut encore s’exercer librement, la charte pouvant être assez largement interprétée, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs.
Exemplaire signé par Louis XVIII
Coffret en cuir
© Bibliothèque de l'Assemblée nationale
La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse. Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ; mais en cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde librement avec le voeu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui. Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations. A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :
Droit public des Français
Article premier. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État.
Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.
Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.
Article 6. - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État.
Article 7. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du Trésor royal.
Article 8. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.
Article 9. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.
Article 10. - L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.
Article 11. - Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens.
Article 12. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.
Formes du gouvernement du roi
Article 13. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
Article 14. - Le roi est le chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État.
Article 15. - La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.
Article 16. - Le roi propose la loi.
Article 17 - La proposition de la loi est portée, au gré du roi, à la Chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la Chambre des députés.
Article 18. - Toute la loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres.
Article 19. - Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne.
Article 20. - Cette demande pourra être faite par chacune des deux chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne sera envoyée à l'autre Chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après un délai de dix jours.
Article 21. - Si la proposition est adoptée par l'autre Chambre, elle sera mise sous les yeux du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être représentée dans la même session.
Article 22. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.
Article 23. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la première législature assemblée depuis l'avènement du roi.
De la Chambre des pairs
Article 24. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la puissance législative.
Article 25. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la Chambre des députés des départements. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.
Article 26. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui serait tenue hors du temps de la session de la Chambre des députés, ou qui ne serait pas ordonnée par le roi, est illicite et nulle de plein droit.
Article 27. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur nombre est illimité ; il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté.
Article 28. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et voix délibérative à trente ans seulement.
Article 29. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.
Article 30. - Les membres de la famille royale et les princes du sang sont pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiatement après le président ; mais ils n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.
Article 31. - Les princes ne peuvent prendre séance à la Chambre que de l'ordre du roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence.
Article 32. - Toutes les délibérations de la Chambre des pairs sont secrètes.
Article 33. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi.
Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.
De la Chambre des députés des départements
Article 35. - La Chambre des députés sera composée des députés par les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois.
Article 36. - Chaque département aura le même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à présent.
Article 37. - Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.
Article 38. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de mille francs.
Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers.
Article 40. - Les électeurs qui concourent à la nomination des députés, ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution directe de trois cent francs, et s'ils ont moins de trente ans.
Article 41. - Les présidents des collèges électoraux seront nommés par le roi et de droit membres du collège.
Article 42. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les éligibles qui ont leur domicile politique dans le département.
Article 43. - Le président de la Chambre des députés est nommé par le roi, sur une liste de cinq membres présentée par la Chambre.
Article 44. - Les séances de la Chambre sont publiques ; mais la demande de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.
Article 45. - La Chambre se partage en deux bureaux pour discuter les projets qui lui ont été présentés de la part du roi.
Article 46. - Aucun amendement ne peut être fait à une loi, s'il n'a été proposé ou consenti par le roi, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.
Article 47. - La Chambre des députés reçoit toutes les propositions d'impôts ; ce n'est qu'après que ces propositions ont été admises, qu'elles peuvent être portées à la Chambre des pairs.
Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.
Article 49. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.
Article 50. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois.
Article 51. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de la Chambre, durant la session, et dans les six semaines qui l'auront précédée ou suivie.
Article 52. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre des Chambres ne peut être faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en personne et à la barre.
Des ministres
Article 54. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des pairs ou de la Chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans l'une ou l'autre Chambre, et doivent être entendus quand ils le demandent.
Article 55. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les juger.
Article 56 . Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits, et en détermineront la poursuite.
De l'ordre judiciaire
Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle s'administre en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue.
Article 58. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.
Article 59. - Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi. Article 60. - L'institution actuelle des juges de commerce est conservée.
Article 61. - La justice de paix est également conservée. Les juges de paix, quoique nommés par le roi, ne sont point inamovibles.
Article 62. - Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.
Article 63. - Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et tribunaux extraordinaires. Ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire.
Article 64. - Les débats seront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les moeurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.
Article 65. - L'institution des jurés est conservée. Les changements qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être effectués que par une loi.
Article 66. - La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra pas être rétablie.
Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce, et celui de commuer les peines.
Article 68. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont pas contraires à la présente Charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé. Droits particuliers garantis par l'État
Article 69. - Les militaires en activité de service, les officiers et soldats en retraite, les veuves, les officiers et soldats pensionnés, conserveront leurs grades, honneurs et pensions.
Article 70. - La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.
Article 71. - La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur accorde que des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société.
Article 72. - La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déterminera les règlements intérieurs et la décoration.
Article 73. - Les colonies sont régies par des lois et des règlements particuliers.
Article 74. - Le roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle.
Articles transitoires
Article 75. - Les députés des départements de France qui siégeaient au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront de siéger à la Chambre des députés jusqu'à remplacement.
Article 76. - Le premier renouvellement d'un cinquième de la Chambre des députés aura lieu au plus tard en l'année 1816, suivant l'ordre établi entre les séries.
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